Le Cercle du Libre Examen de l’ULB et Belgicannats, en partenariat avec l’AEAD – Association Etudiante d’Aide au Développement, Amnesty International ULB, la Maison de l’Amérique latine et le Bureau International Catholique de l’Enfance (BICE), ont l’honneur de vous inviter à la projection-débat sur le thème de « L’enfance au travail ».
La question du travail des enfants est une question épineuse et polémique qui a hanté pendant longtemps l’histoire du travail en Europe. Cependant, elle est aussi une question internationale, qui touche de nombreux pays connaissant des problèmes massifs de pauvreté, d’inégalités et de chômage. Depuis que la Bolivie a instauré une loi légalisant et reconnaissant le travail des enfants jusqu’à 10 ans, les débats font encore plus rage entre associations de protection des droits de l’enfant.
La situation demeure complexe, évoluant dans une réalité grisâtre refusant les réponses manichéennes : que devons-nous faire face à ces travailleurs enfants ? Devons-nous aider à réguler ou faire disparaître cette activité ? N’ont-ils pas besoin de cela pour survivre et faire survivre eux-mêmes ou leur famille ? Qu’en est-il de l’éducation : peuvent-ils suivre en même temps une formation adéquate ? Doit-on privilégier les lois internationales ou la législation nationale ? Quid de l’enfance au travail en Belgique ?
Les questions restent ouvertes et pour aider à éclairer les enjeux en rapport avec cette thématique, nous avons donc décidé de projeter un documentaire et de le faire suivre d’un débat entre plusieurs intervenants venus d’horizons divers.
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[19H : Projection]
Mot d’introduction : Coralie Cifre de BélgicaNNATs.
Documentaire : « Bolivie, l’enfance au travail » de Jean-Baptiste Jacquet.
Description France 5 : « Cireurs de chaussures, vendeurs ambulants, laveurs de pare-brises… En Bolivie, près de 850 000 enfants travaillent, un jeune sur trois.
Jusqu’à présent, ces activités étaient illégales, mais depuis juillet 2014, les petits Boliviens peuvent travailler en toute légalité dès l’âge de 10 ans. La décision du Président bolivien relance le débat sur le travail infantile. Faut-il l’interdire au risque de nier une réalité sociale? Ou au contraire le légaliser pour mieux encadrer et protéger les plus vulnérables? »
Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=hAxtI5JlYLA
[20H : Débat]
Intervenants :
— Norma DUARTE —
Directrice de l’ONG Callescuela
— Erika Ramirez —
Membre de la coordination nationale des enfants travailleurs du Paraguay
— Maria Rosa De Paolis —
International Cooperation Officer – Child Labour & Youth Inclusion à la Commission européenne, Direction Générale de la Coopération Internationale et du Développement.
— Luiza María Aguilar —
Évaluatrice des programmes européens en droit fondamental et citoyenneté
— Serge Léonard —
Juriste-expert auprès de la Délégation Générale des Droits de l’Enfant.
Modérateur : Galaad Wilgos, rédacteur en chef du Cercle du Libre Examen.
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Où ?
à l’ULB, sur le campus du Solbosch (avenue Paul Héger, 22) à l’auditoire H.1302.
Quand ?
Lundi 2 mai à partir de 19h00.
Combien ?
— Gratuit pour les membres du Librex et de BélgicaNNATs ;
— 1€ pour les étudiants et chômeurs ;
— 2€ pour les autres.
En espérant vous y voir nombreux et nombreuses.
INFO
http://www.belgicannats.org/
TRAVAIL DES ENFANTS EN BOLIVIE : NI ANGÉLISME, NI DIABOLISATION !
Aurélie Leroy – Centre Tricontinental CETRI, 19 août 2014
« La Bolivie abaisse l’âge minimum légal du travail à 10 ans ». Cette nouvelle, sortie de son contexte résonne comme un coup de tonnerre. Offuscation des défenseurs des droits humains, tollé de la communauté internationale, condamnation des partisans de l’abolition du travail des enfants.
LES INVARIANTS DU DISCOURS SUR LE TRAVAIL DES ENFANTS
Indépendamment du sérieux que mérite la lecture de cet événement, il est navrant de constater que la problématique du travail des enfants reste invariablement, et comme à chaque fois, traitée sous l’angle immédiat de la dénonciation et de la persuasion plutôt que de la compréhension et de l’analyse.
D’entrée de jeux, le travail des enfants est présenté comme un scandale, comme une occupation anormale, comme une enfance volée et suivant cette logique, l’enfant travailleur apparaît comme une victime. La condamnation apparaît dès lors comme la seule réaction possible et extraire l’enfant du travail la seule solution adéquate.
Si l’exploitation infantile demeure une réalité qu’il convient de combattre, il serait inconsidéré de jeter l’opprobre de manière inconditionnelle sur toutes les formes de travail des enfants. Ce phénomène ne constitue pas un bloc homogène. La plupart des formes de travail, même si elles ne constituent jamais un « premier choix », comportent simultanément des dimensions positives et négatives et peuvent donc être à la fois nuisibles et bénéfiques au développement et au bien-être des enfants. Une réponse unique et standardisée – l’abolition du travail – est dès lors vouée à l’échec. Le travail infantile est un phénomène multidimensionnel, bien plus compliqué que ce qu’il n’y paraît à première vue, et réclame dès lors une approche et des réponses circonstanciées.
Autre invariant lié au traitement de ce phénomène : le recours privilégié à l’outil législatif. Dans le cas présent, la contradiction entre la décision bolivienne et les termes de la convention internationale n°138 sur l’âge minimum d’admission pour l’emploi de l’OIT (Organisation internationale du travail) a été lourdement critiquée. Selon les normes fixées au niveau international et reconnues par la Bolivie, l’âge minimum ne peut être inférieur à l’âge de la fin de la scolarité obligatoire et en aucun cas inférieur à 14 ans pour les travaux légers. Alors pourquoi cette décision d’abaissement de l’âge légal ?
LA NORME ET LA RÉALITÉ
Avant toute chose, précisons que le nouveau Code sur l’enfance et l’adolescence bolivien ne modifie pas la limite d’âge de travail officiel qui est maintenue à quatorze ans. Ce sont deux « exceptions » à la règle qui sont à l’origine des débats. L’enfant peut travailler dès douze ans pour le compte d’un employeur (avec un maximum de six heures par jour) et dès dix ans pour son propre compte à condition qu’il obtienne l’aval de ses parents, l’autorisation de la Defensoria de la Niñez y Adolescencia, et que son travail ne nuise pas à son éducation, à sa santé et à son développement.
Les législations jouent un rôle de puissants garde-fous qui est indéniable, mais plusieurs bémols limitent leur action et expliquent les mesures prises par la Bolivie pour « ajuster le tir ». Tout d’abord, les normes bien que contraignantes n’ont pas souvent été appliquées par manque de volonté ou par faute de moyens. Ensuite, et c’est ce qui explique sans doute la réforme du Code du travail en Bolivie, nombre d’enfants travailleurs sont restés hors de portée du champ d’application de ces législations. Leur invisibilité au sein de la sphère familiale (l’exploitation y existe et ce n’est pas une exception !) ou dans les métiers du secteur informel en fait des proies faciles, aisément exploitables.
C’est pour mieux lutter contre cette exploitation que le gouvernement d’Evo Morales a placé cette question au cœur de son agenda politique. Il faut donc s’en réjouir, quand bien même l’image d’un enfant de dix ans au travail est une représentation choquante à nos yeux. Cette marque d’intérêt ne constitue malheureusement pas un invariant.
LE NOUVEAU CODE DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT
Selon une enquête de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de l’Encuesta de Trabajo Infantil (ETI),2 800 000 enfants et adolescents âgés de 5 à 17 ans travaillent en Bolivie, un pays de seulement dix millions d’habitants et l’un des plus pauvres d’Amérique latine. 491 000 ont moins de quatorze ans et 437 000 d’entre eux réalisent une activité qualifiée de dangereuse.
Dans un pays où le travail infantile est monnaie courante – tantôt perçu comme un mal nécessaire, tantôt comme un bagage pour la vie -, le gouvernement bolivien s’est frotté à l’exercice ambitieux et périlleux de trouver un « équilibre entre les conventions internationales et la réalité du pays » (Héraud, 2014), ceci dans le but d’offrir aux enfants travailleurs des solutions réalistes et adaptées qui permettent une évolution positive de leurs situations. Pour atteindre cet objectif et « coller » avec les besoins réels des enfants, la loi a été volontairement construite en étroite collaboration avec les jeunes travailleurs. Elle permet au vice-président García Linera d’affirmer que celle-ci « protege al niño y a la niña, articula los sistemas dispersos del Estado, reconoce derechos y convierte a los niños, niñas y adolescentes en sujetos participantes de sus derechos, establece obligaciones para los municipios, las gobernaciones y para el gobierno nacional para apoyar, proteger, garantizar y velar el cumplimiento de estos derechos » (Morsolin, 2014).
Depuis plusieurs années, le gouvernement s’est montré à l’écoute de ces jeunes qui se sont organisés pour certains au sein de mouvements – des sortes de syndicats – et qui réfutent l’idée selon laquelle leur « intérêt supérieur » (article 3 de de la Convention des droits de l’enfant) devrait être l’abolition de leur travail. Ces derniers se battent pour la reconnaissance de leurs droits. Il se disent « contre l’exploitation de leur travail, mais pour le travail digne avec des horaires adaptés pour leur éducation et leurs loisirs » (Charte fondatrice du mouvement international des enfants travailleurs, Kundapur, 1996). Aujourd’hui, un nouveau pas est franchi par les dirigeants pour tenter de coller plus encore à la réalité et tenir compte des situations singulières de ces milliers d’enfants qui restent invisibles. Un pas de trop ?
POLITIQUES SOCIALES
Il est évident que la voie empruntée par les autorités boliviennes ne fera pas l’unanimité (ou alors contre elles…), mais cette attention excessive apportée à la décision relative à l’âge minimum pour le travail ne doit pas faire oublier que l’outil législatif n’est pas le seul moyen mis en œuvre par la Bolivie pour tenter d’améliorer les conditions d’existence de ces enfants et de leurs familles : des politiques sociales ambitieuses et inédites en termes d’alphabétisation et de santé notamment ont été entreprises permettant de déclarer le pays « libre d’analphabétisme » ; des processus participatifs innovants ont aussi été créés pour tenter d’intégrer véritablement la parole, les stratégies et les choix des jeunes. Des avancées non négligeables donc, mais reste que la fin de l’exploitation des enfants demeure intimement liée à l’accès de tous – hommes et femmes – à un travail décent, un enjeu qui reste colossal au regard de l’évolution du système économique mondial.
Le travail des enfants réclame, on le voit, une analyse lucide et des réponses appropriées sans angélisme ni diabolisation. La Bolivie est-elle finalement si loin du compte ?
Une version légèrement écourtée de ce texte a été publiée dans le journal « Le Soir » du 23 juillet 2014.
BIBLIOGRAPHIE
Leroy A., « Contre le travail des enfants. Un présupposé à débattre » in Alternatives Sud (2009), Contre le travail des enfants ?, Syllepse/Cetri, Paris, Louvain-la-Neuve, Vol. XVI, n°1.
Héraud B. (2014), Légalisation du travail des enfants en Bolivie : le droit international contre la réalité locale, Novethic, 21 juillet.http://www.novethic.fr/empreinte-sociale/conditions-de-travail/isr-rse/legalisation-du-travail-des-enfants-en-bolivie-le-droit-international-contre-la-realite-locale.html
IPEC-INE (2008), Magnitud y Características del Trabajo Infantil en Bolivia – Informe nacional 2008,
http://www.unicef.org/bolivia/magnitud_y_caracteristicas_del_TI_en_Bolvis_INE_OIT_baja.pdf
Morsolin C. (2014) , Bolivia : Gobierno de Evo Morales rebaja la edad laboral a los 10 años y desafía la Organización Internacional del Trabajo OIT, 18 juillet.
http://www.cetri.be/Travail-des-enfants-en-Bolivie-ni-3612?lang=fr
LIVRE
TITRE Contre le travail des enfants ?
LA COLLECTION Alternatives Sud
VOLUME Vol. XVI – 2009/1
DATE 01/2009
COORD. / AUTEUR Aurélie Leroy
EDITION CETRI, Syllepse
Morsolin Cristiano c’est co-autheur de ce livre du Centre Tricontinental CETRI.
http://www.cetri.be/Contre-le-travail-des-enfants?lang=fr
Foto: Aurelie Leroy et Cristiano Morsolin – CETRI Lovaine La Neuf